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35 ans de BTP, ententes, corruption et vol qualifié

10 mars 2011

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vous trouverez ci-dessous le fichier pdf de mon article

 

 

 

35_ans_de_btp_v4

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31 décembre 2010

Prologue

 

Apres avoir lu ce texte, plusieurs de mes amis m'ont demandé d'exprimer les raisons pour lesquelles je l'avais écrit.

Très clairement, dans mon esprit, il ne s'agit ni de délation, ni de condamnation, sinon je devrais être le premier condamné. Il s'agit d'un témoignage que je pense pouvoir donner plus librement, maintenant que je suis à la retraite, et que j'ai tourné la page de ma vie professionnelle.

Il me semble sain de témoigner de la nature des us et coutumes de la profession du BTP en France; car il ne s'agit pas de déviances ponctuelles.

Vu la nature humaine, il y aura toujours quelques voleurs, et toujours des policiers pour leur courir après.

Le problème devient plus grave lorsque toute une catégorie socioprofessionnelle s'installe au quotidien dans des pratiques illégales et perd même toute notion de culpabilité.

Je ne cherche pas à accuser, mais à décrire. Je ne cherche pas à redresser des torts, mais à informer. Je pense que pour modifier les comportements que je décris de cette profession, il n'y a qu'une solution efficace, c'est le bâton; c'est à dire la crainte du policier et de la justice. J'ai beau réfléchir, je ne vois pas quelle carotte pourrait inciter les entrepreneurs  à plus de respect des lois.

Mais j'aimerais surtout que cette information et ce débat soient portés à la connaissance des étudiants en formation pour cette profession formidable que sont le Bâtiment et les Travaux Publics. Il me semble honnête et normal qu'on les prévienne sur ce qui les attends au cours de leur vie professionnelle. Rétrospectivement, je déplore que pendant mes quatre années de formation dans une école d'ingénieur, le sujet n'ait jamais été même effleuré. Libre à eux, après, et en toute connaissance, d'accepter les règles de ce milieu, d'essayer de les modifier, ou de changer de milieu. Je suis convaincu que si une proportion substantielle de jeunes démarrant dans cette profession, disaient d'entrée "respectons la loi", les "vieux" au pouvoir, qui ne peuvent se passer de ces jeunes, mais qui pourraient respecter la loi, seraient alors motivés pour se remettre en question en douceur. 

 

30 décembre 2010

Introduction

 

Ma vocation pour le BTP n'a pas été liée à une  passion profonde.

Elle s'est révélée un jour, en cour de récréation de mon école d'ingénieur, où j'ai réalisé le traumatisme que serait pour moi, une existence confinée à un bureau ou à une usine.

J'ai donc ce jour là rêvé d'une vie en plein air dans des grands chantiers de travaux publics.

Personne ne m'avait jamais donné aucune indication sur ce qu'était la vie et l'ambiance de travail dans cette profession.

Je voudrais dans ce qui suit décrire un aspect de cette vie, celui qui est décrit dans le titre de ce livre. Il faut bien comprendre qu'il y a beaucoup d'autres aspects heureusement, dans cette profession du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) Ces autres aspects peuvent  être passionnants, valorisants, et très attachants. Mais mon objectif aujourd'hui est de ne parler que de l'aspect ci-dessus. N'oublions jamais qu'il y en a d'autres et que je ne cherche à faire le procès  ni de l'ensemble de la profession ni de tous les métiers du BTP, mais uniquement de cet aspect qui est à la fois amoral et hors-la-loi.

 

-1970-1971 

J'ai commencé ma carrière en passant deux ans au Cameroun, en tant que coopérant technique pour le compte du secrétariat d'état aux affaires étrangères. J'étais ingénieur à la direction des routes sous les ordres  d'un directeur français. Ce directeur était le dernier directeur français dans toute l'administration camerounaise de l'époque. Je travaillais en prise directe avec lui. Un jour, alors que j'entrais dans son bureau, je l'ai vu à la fois bouleversé et très énervé. Il m'a donc raconté sur un ton très scandalisé  que M. X, directeur de l'entreprise de travaux publics Y. du pays, venait de sortir de son bureau. Il  avait mis sur sa table un chèque signé avec le montant laissé en blanc. Il  lui avait dit : mettez le chiffre que vous voudrez ; je vous le donne et faites ce qu'il faut pour que j'aie le marché de ce chantier qui est en appel d'offres. Mon directeur, se drapant alors dans sa dignité, m'a dit qu'il avait mis à la porte  ce chef d'entreprise.

 

Sur-le-champ, je n'ai rien dit. Après plusieurs années de réflexion sur le sujet, je me rends compte maintenant que cette réaction scandalisée et cette manière de mettre à la porte ce chef d'entreprise, était en fait un acte de complicité avec cette tentative de corruption. En effet cet entrepreneur savait très bien qu’il ne risquait rien dans sa tentative car personne à l'époque ni maintenant d'ailleurs ne fait rien contre ces tentatives de corruption. De ce fait, avec une impunité quasi garantie, tout bon entrepreneur de travaux publics peut renouveler ses tentatives sans risque. Avec un taux de réussite d'environ 1/10, la vie est belle et promet de le demeurer pour ces acteurs indélicats.

 

Ma deuxième expérience sur le sujet s'est passée en commission d'appel d'offres. Nous ouvrions  en séance solennelle un appel d'offres pour environ 100 km de routes, et donc d'un montant important. Un représentant de la  direction du budget ainsi qu'un certain nombre d'autres hauts fonctionnaires étaient membres de cette commission. Mon directeur était présent et j'assistais en me faisant tout petit dans le coin de la pièce. Cinq entreprises avaient répondu. Comme il est d'usage on note dans un procès-verbal le montant de chacune des offres après ouverture des plis des entreprises. L'habitude dans cette commission, était de noter deux chiffres,  celui hors taxes et celui toutes taxes comprises. À l'ouverture d'une des enveloppes, il est apparu qu'il n'était pas précisé si le montant de l'offre était hors taxes ou toutes taxes comprises. La valeur à prendre en compte pour la taxe était de l'ordre de 15 %. De ce fait, si l'on considérait que l'offre était hors taxes (HT) ou toutes taxes comprises (TTC), le montant pouvait varier de 15 %, selon qu'au chiffre avancé on ajoutait ou pas ces 15 %. Pour cette entreprise si l'on considérait que le chiffre annoncé était toutes taxes comprises il était le moins-disant et donc gagnant de l'appel d'offres et titulaire d'un marché très important. Si par contre, on considérait que son offre était hors taxes, il convenait de rajouter ces 15 % pour le comparer aux autres offres. De ce fait, il n'était plus moins-disant et ne devait pas être adjudicataire du marché.

 

Un tour de table a donc été organisé pour décider de la conduite à tenir en  face de cette question imprévue. Mon directeur s'est exprimé en disant de la manière la plus ferme possible que l'offre était non conforme au règlement de consultation. En effet ce règlement précisait  que l'entreprise devait mettre les deux chiffres hors taxes d'une part et toutes taxes comprises d'autre part. Cette offre non conforme devait donc être éliminée.

Le représentant de la direction du budget a eu une autre approche. Il a calculé qu'en retenant l'offre la plus basse et en la considérant toutes taxes comprises, l'entreprise en question était 10 % moins chère que la deuxième entreprise la moins chère. Il a donc émis l'avis qu'il convenait de favoriser cette économie de dix pourcent sur le montant des travaux, et de demander à l'entreprise confirmation que son prix était bien TTC. Compte tenu du rapport des forces, et de l'importance des personnages exprimant leurs avis, c'est celui de la direction  du budget qui a été retenu. De la sorte, on a favorisé l'entreprise qui en remettant une offre non conforme, s'était mise volontairement hors réglementation des marchés. En effet si cette entreprise, en ajoutant les taxes, était restée moins-disant, elle aurait prétendu que son offre était hors taxes et que donc il fallait rajouter les 15 % de taxes avant de lui attribuer le marché. Comme elle savait que si elle prétendait avoir oublié les taxes elle ne serait plus adjudicataire, elle a donc accepté que son chiffre soit toutes taxes comprises. Ce tour de passe-passe a manifestement été favorisé par la non-application stricte de la réglementation des marchés. Cette décision favorisait le court terme au détriment du long terme. Pour gagner quelques milliers de francs CFA on jetait le doute dans la profession sur l'honnêteté des procédures d'attribution des marchés.

 

29 décembre 2010

Madagascar-1972-1973

 

-1972-1973 

 

A Madagascar, j’étais chef du service infrastructure, dans une société dont le siège était basé à Dakar et dont la mission était d'unifier l'espace aérien des anciennes colonies françaises. Le service   était très calme et la seule opération d'importance dont j'ai eu à m'occuper était le renforcement d'une piste d'aviation à Diego Suarez. En effet la compagnie Air Madagascar venait d'acquérir des Boeing 737 dont l'impact sur les pistes d'aviation était nettement supérieur à celui des Fokker 27 qu'elle utilisait auparavant. Il convenait donc de renforcer la piste existante en ajoutant 10 à 15  cm d'enrobé. J'avais dans mon service un autre expatrié qui avait été recruté quelques mois auparavant dans une entreprise de travaux publics locale. Quelques jours après avoir lancé l'appel d'offres, avec bien sûr publication dans les journaux locaux, j'ai reçu une demande d'entretien de la part d'un des chefs d'entreprise du pays, concerné par cet appel d'offres. Il est venu pour m'entendre confirmer les règles du jeu d'attribution de ce marché à savoir : un appel d'offre clair et net, une réelle mise en concurrence, et pas de préférence locale. J'ai été intrigué par cette démarche. Mais quelques semaines plus tard j'ai appris par une autre entreprise  que le deuxième expatrié de mon service s'était répandu en ville pour dire que bien sûre c'est son entreprise d'origine qui aurait ce marché. Pour cette raison et d'autres nous avons dû nous séparer de cette personnes.

 

-1974-1975 

 

Je n'ai pas eu au Sénégal de responsabilité opérationnelle me mettant en rapport avec ce genre de problèmes.

 

6 février 2010

partie 1

 

Prologue

 

Apres avoir lu ce texte, plusieurs de mes amis m'ont demandé d'exprimer les raisons pour lesquelles je l'avais écrit. Très clairement, dans mon esprit, il ne s'agit ni de délation, ni de condamnation, sinon je devrais être le premier condamné. Il s'agit d'un témoignage que je pense pouvoir donner plus librement, maintenant que je suis à la retraite, et que j'ai tourné la page de ma vie professionnelle. Il me semble sain de témoigner de la nature des us et coutumes de la profession du BTP en France; car il ne s'agit pas de déviances ponctuelles. Vu la nature humaine, il y aura toujours quelques voleurs, et toujours des policiers pour leur courir après. Le problème devient plus grave lorsque toute une catégorie socioprofessionnelle s'installe au quotidien dans des pratiques illégales et perd même toute notion de culpabilité. 

Je ne cherche pas à accuser, mais à décrire. Je ne cherche pas à redresser des torts, mais à informer. Je pense que pour modifier les comportements que je décris de cette profession, il n'y a qu'une solution efficace, c'est le bâton; c'est à dire la crainte du policier et de la justice. J'ai beau réfléchir, je ne vois pas quelle carotte pourrait inciter les entrepreneurs à plus de respect des lois. Mais j'aimerais surtout que cette information et ce débat soient portés à la connaissance des étudiants en formation pour cette profession formidable que sont le Bâtiment et les Travaux Publics. Il me semble honnête et normal qu'on les prévienne sur ce qui les attends au cours de leur vie professionnelle. Rétrospectivement, je déplore que pendant mes quatre années de formation dans une école d'ingénieur, le sujet n'ait jamais été même effleuré. Libre à eux, après, et en toute connaissance, d'accepter les règles de ce milieu, d'essayer de les modifier, ou de changer de milieu. Je suis convaincu que si une proportion substantielle de jeunes démarrant dans cette profession, disaient d'entrée "respectons la loi", les "vieux" au pouvoir, qui ne peuvent se passer de ces jeunes, mais qui pourraient respecter la loi, seraient alors motivés pour se remettre en question en douceur.

 

 

 Introduction

Ma vocation pour le BTP n'a pas été liée à une passion profonde. Elle s'est révélée un jour, en cour de récréation de mon école d'ingénieur, où j'ai réalisé le traumatisme que serait pour moi, une existence confinée à un bureau ou à une usine. J'ai donc ce jour là rêvé d'une vie en plein air dans des grands chantiers de travaux publics. Personne ne m'avait jamais donné aucune indication sur ce qu'était la vie et l'ambiance de travail dans cette profession. Je voudrais dans ce qui suit décrire un aspect de cette vie, celui qui est décrit dans le titre de ce livre. Il faut bien comprendre qu'il y a beaucoup d'autres aspects heureusement, dans cette profession du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) Ces autres aspects peuvent être passionnants, valorisants, et très attachants. Mais mon objectif aujourd'hui est de ne parler que de l'aspect ci-dessus. N'oublions jamais qu'il y en a d'autres et que je ne cherche à faire le procès ni de l'ensemble de la profession ni de tous les métiers du BTP, mais uniquement de cet aspect qui est à la fois amoral et hors-la-loi.

 

 

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5 février 2010

partie 2

_ Le Cameroun-1970-1971

J'ai commencé ma carrière en passant deux ans au Cameroun, en tant que coopérant technique pour le compte du secrétariat d'état aux affaires étrangères.J'étais ingénieur à la direction des routes sous les ordres d'un directeur français. Ce directeur était le dernier directeur français dans toute l'administration camerounaise de l'époque. Je travaillais en prise directe avec lui. Un jour, alors que j'entrais dans son bureau, je l'ai vu à la fois bouleversé et très énervé. Il m'a donc raconté sur un ton très scandalisé que M. X, directeur de l'entreprise de travaux publics Y. du pays, venait de sortir de son bureau. Il avait mis sur sa table un chèque signé avec le montant laissé en blanc. Il lui avait dit : mettez le chiffre que vous voudrez ; je vous le donne et faites ce qu'il faut pour que j'aie le marché de ce chantier qui est en appel d'offres. Mon directeur, se drapant alors dans sa dignité, m'a dit qu'il avait mis à la porte ce chef d'entreprise. Sur-le-champ, je n'ai rien dit. Après plusieurs années de réflexion sur le sujet, je me rends compte maintenant que cette réaction scandalisée et cette manière de mettre à la porte ce chef d'entreprise, était en fait un acte de complicité avec cette tentative de corruption. En effet cet entrepreneur savait très bien qu’il ne risquait rien dans sa tentative car personne à l'époque ni maintenant d'ailleurs ne fait rien contre ces tentatives de corruption. De ce fait, avec une impunité quasi garantie, tout bon entrepreneur de travaux publics peut renouveler ses tentatives sans risque. Avec un taux de réussite d'environ 1/10, la vie est belle et promet de le demeurer pour ces acteurs indélicats.

Ma deuxième expérience sur le sujet s'est passée en commission d'appel d'offres. Nous ouvrions en séance solennelle un appel d'offres pour environ 100 km de routes, et donc d'un montant important. Un représentant de la direction du budget ainsi qu'un certain nombre d'autres hauts fonctionnaires étaient membres de cette commission. Mon directeur était présent et j'assistais en me faisant tout petit dans le coin de la pièce. Cinq entreprises avaient répondu. Comme il est d'usage on note dans un procès-verbal le montant de chacune des offres après ouverture des plis des entreprises. L'habitude dans cette commission, était de noter deux chiffres, celui hors taxes et celui toutes taxes comprises. À l'ouverture d'une des enveloppes, il est apparu qu'il n'était pas précisé si le montant de l'offre était hors taxes ou toutes taxes comprises. La valeur à prendre en compte pour la taxe était de l'ordre de 15 %. De ce fait, si l'on considérait que l'offre était hors taxes (HT) ou toutes taxes comprises (TTC), le montant pouvait varier de 15 %, selon qu'au chiffre avancé on ajoutait ou pas ces 15 %. Pour cette entreprise si l'on considérait que le chiffre annoncé était toutes taxes comprises il était le moins-disant et donc gagnant de l'appel d'offres et titulaire d'un marché très important. Si par contre, on considérait que son offre était hors taxes, il convenait de rajouter ces 15 % pour le comparer aux autres offres. De ce fait, il n'était plus moins-disant et ne devait pas être adjudicataire du marché. Un tour de table a donc été organisé pour décider de la conduite à tenir en face de cette question imprévue. Mon directeur s'est exprimé en disant de la manière la plus ferme possible que l'offre était non conforme au règlement de consultation. En effet ce règlement précisait que l'entreprise devait mettre les deux chiffres hors taxes d'une part et toutes taxes comprises d'autre part. Cette offre non conforme devait donc être éliminée. Le représentant de la direction du budget a eu une autre approche. Il a calculé qu'en retenant l'offre la plus basse et en la considérant toutes taxes comprises, l'entreprise en question était 10 % moins chère que la deuxième entreprise la moins chère. Il a donc émis l'avis qu'il convenait de favoriser cette économie de dix pourcent sur le montant des travaux, et de demander à l'entreprise confirmation que son prix était bien TTC. Compte tenu du rapport des forces, et de l'importance des personnages exprimant leurs avis, c'est celui de la direction du budget qui a été retenu. De la sorte, on a favorisé l'entreprise qui en remettant une offre non conforme, s'était mise volontairement hors réglementation des marchés. En effet si cette entreprise, en ajoutant les taxes, était restée moins-disant, elle aurait prétendu que son offre était hors taxes et que donc il fallait rajouter les 15 % de taxes avant de lui attribuer le marché. Comme elle savait que si elle prétendait avoir oublié les taxes elle ne serait plus adjudicataire, elle a donc accepté que son chiffre soit toutes taxes comprises. Ce tour de passe-passe a manifestement été favorisé par la non application stricte de la réglementation des marchés. Cette décision favorisait le court terme au détriment du long terme. Pour gagner quelques milliers de francs CFA on jetait le doute dans la profession sur l'honnêteté des procédures d'attribution des marchés.

 

 

Madagascar-1972-1973

A Madagascar, j’étais chef du service infrastructure, dans une société dont le siège était basé à Dakar et dont la mission était d'unifier l'espace aérien des anciennes colonies françaises. Le service était très calme et la seule opération d'importance dont j'ai eu à m'occuper était le renforcement d'une piste d'aviation à Diego Suarez. En effet la compagnie Air Madagascar venait d'acquérir des Boeing 737 dont l'impact sur les pistes d'aviation était nettement supérieur à celui des Fokker 27 qu'elle utilisait auparavant. Il convenait donc de renforcer la piste existante en ajoutant 10 à 15 cm d'enrobé. J'avais dans mon service un autre expatrié qui avait été recruté quelques mois auparavant dans une entreprise de travaux publics locale. Quelques jours après avoir lancé l'appel d'offres, avec bien sûr publication dans les journaux locaux, j'ai reçu une demande d'entretien de la part d'un des chefs d'entreprise du pays, concerné par cet appel d'offres. Il est venu pour m'entendre confirmer les règles du jeu d'attribution de ce marché à savoir : un appel d'offre clair et net, une réelle mise en concurrence, et pas de préférence locale. J'ai été intrigué par cette démarche. Mais quelques semaines plus tard j'ai appris par une autre entreprise que le deuxième expatrié de mon service s'était répandu en ville pour dire que bien sûre c'est son entreprise d'origine qui aurait ce marché. Pour cette raison et d'autres nous avons dû nous séparer de cette personnes.

_ Sénégal-1974-1975

Je n'ai pas eu au Sénégal de responsabilité opérationnelle me mettant en rapport

avec ce genre de problèmes.

4 février 2010

partie 3

Retour en France-1975

 

_Une entreprise de construction de routes

_ 1975-1976

De retour en France, j'ai trouvé, après quelques semaines de recherche, un poste dans une des plus grosses entreprises routières de France. Son président, qui m'avait reçu, m'avait clairement fait comprendre que pour lui j'étais un débutant et que mes cinq années d'exercice professionnel en Afrique ne comptaient pas. J'étais très vexé.

Afin de me former à l'activité professionnelle en France, j'avais été placé auprès d'un directeur régional de l'entreprise dans l'Ouest de la France. Cet homme était un très bon patron, pugnace, dynamique, et réussissant très bien. Il a d'ailleurs fini sa carrière très haut placé dans la hiérarchie de cette société. Je suis resté à côté de lui pendant six mois dans ses bureaux. Je dois lui rendre hommage, car il s'est très bien occupé de moi m'expliquant beaucoup de choses de cette profession d'entrepreneurs très différente de ce que j'avais pu connaître en tant que maître d'ouvrage en Afrique. Cette formation a porté sur toutes les facettes du métier d'entrepreneur routier ; mais celles dont je parlerai ici sont bien sûr uniquement celles qui concernent cet exercice. Les ententes entre entreprises de TP étaient monnaies courantes. Mon patron y avait un rôle très important, fédérant les entreprises, aidant à la répartition des marchés, réglant ou atténuant les litiges car il ne manquait pas de s'en produire entre les différents chefs d'entreprise de la région.

 

_ Qu’est ce qu’une entente ?

Les premières choses que j'ai apprises étaient d'une part ce qu'était une entente entre entreprises lors d'un appel d'offres et d'autre part tout ce qu'il fallait faire pour y arriver. Les clients des entreprises routières peuvent être caractérisés par leur origine soit de nature privée soit de nature publique. Les clients privés ont des modalités de consultation de leurs fournisseurs et donc des entreprises routières qui leur sont propres et qui ne sont absolument pas codifiées au niveau national. Nous ne nous en occuperons pas dans ce qui suit. Les clients publics sont principalement en ce qui nous concerne l'État, représenté par leurs directions départementales de l'équipement, et les collectivités locales: soit des communes, des communautés de communes, un département ou une région. Tous ces organismes sont assujettis au code des marchés publics pour pouvoir choisir leurs fournisseurs. La procédure la plus fréquemment utilisée de ce code est la procédure d'appel d'offres. L'appel d'offres se subdivise en deux sous-procédures : celle de l'appel d'offres restreint et celle de l'appel d'offres ouvert. La procédure d'appel d'offres consiste à publier dans des journaux officiels la nature des projets soumis à consultation qui vont déboucher sur un marché afin que les entrepreneurs intéressés se manifestent. Dans la procédure restreinte le client ou maître d'ouvrage choisi parmi tous les candidats qui se sont manifestés entre cinq et quinze entreprises ; ensuite il envoie aux entreprises le dossier de consultation en demandant que les offres soient remises avant une date et une heure bien définie. Dans la procédure ouverte le client envoie le dossier de consultation à toutes les entreprises qui en font la demande. De la même manière les offres doivent être remises avant une date et une heure bien définie. Quelques jours après la remise des offres une commission, dénommée commission d'appel d'offres (CAO), se réunit. Celle-ci est composée d'un certain nombre d'élus de l'autorité qui assure la maîtrise d'ouvrage, assistés par quelques techniciens. Jusqu'à très récemment le maître d'ouvrage avait obligation d'inviter un représentant de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes(DGCCRF), ainsi qu'un représentant du trésor public. Sur présentation d'un rapport des techniciens de la maîtrise d'ouvrage cette commission arrête la liste des candidats qui seront retenus dans le cadre d'un appel d'offres restreint. Par la suite après que les offres aient été remises par les entreprises, que la procédure soit ouverte ou restreinte, les offres sont ouvertes officiellement en séance de la commission. Cette commission note principalement le montant de chacune des offres, puis très généralement, demande aux techniciens de la maîtrise d'ouvrage d'examiner en détail le contenu des offres et de faire un rapport sur ces offres avec des propositions de choix à une prochaine séance. Lors de cette dernière séance les techniciens présentent un rapport technique sur les différentes offres examinées et font des propositions à la commission pour retenir l'une de ces offres. De manière générale et depuis très longtemps s'est appliquée la notion de l'offre la mieux-disante, par opposition à celle de moins-disante; toute la problématique consistant à définir les critères du "mieux". Devant la difficulté de définir ce qui est "mieux", et au vu des suspicions que cela soulève, il est traditionnel que mieux -disant et moins disant se confondent la plupart du temps. Il y a donc énormément de chance pour que l'entreprise qui a remis l'offre la plus basse soit celle retenue. On appelle « entente » des entreprises une démarche effectuée par l'ensemble de ces entreprises qui consiste à désigner entre elles, celle qui sera la moins chère ; à s'organiser pour que les autres entreprises répondent plus chère que celle désignée et à envoyer toutes ces offres au maître d'ouvrage.

Cette démarche est fondamentalement illégale. Je l'ai vu pratiquée sur l'ensemble de ma carrière d'entrepreneurs à peu près une fois sur deux pour les appels d'offres sous maîtrise d'ouvrage publique.

Pourquoi donc les entreprises y ont-elles recours ?

Deux raisons principales semblent justifier cette démarche :

-- la première est qu’un responsable d'entreprise, dont la responsabilité essentielle est d'alimenter son carnet de commandes pour que son personnel et son matériel aient du travail, n'aime pas se confier à une règle qu'il estime être celle du hasard. 

--la deuxième est que ce même responsable d'entreprise, dans le cadre d'une entente, peut, dans certaines limites, augmenter sensiblement ses prix, et donc son bénéfice. La première étape à franchir pour monter une entente est de connaître la liste des entreprises qui remettront une offre. Dans le cadre d'une procédure restreinte, une liste exhaustive et limitée de 5 à 15 entreprises est arrêtée en commission d'appel d'offres. Le jeu consiste alors à se procurer cette liste. Ceci est relativement simple. Il suffit de connaître par le biais de l'amie d'un ami ou de toute autre manière une personne de la maîtrise d'ouvrage ayant accès à cette liste. Elles sont nombreuses. Des petits cadeaux peuvent grandement faciliter cette connaissance. On payait dans le début des années 80 jusqu'à 1000 F soit environ 150 € de nos jours une telle liste pour un appel d'offres. Dans l'hypothèse d'un appel d'offres ouvert le jeu est plus subtil. En effet n'importe quelle entreprise peut venir retirer un dossier n'importe quand même la veille de la remise des offres. Il convient donc d'avoir accès à la liste tenue par celui qui remet les dossiers. Lorsque les dossiers sont remis par leur reprographe, cet accès est relativement simple. Le personnel de la société de reprographie n'a en effet aucune motivation pour refuser la communication de cette liste à quelqu'un qui le lui demande gentiment. Lorsque les dossiers sont remis par le service marché de la maîtrise d'ouvrage, celui-ci a généralement des consignes strictes de confidentialité sur cette liste. Mais comme précédemment et souvent moyennant service rendu, ou finance, on arrive très souvent à se procurer cette liste. Une fois qu'on a la liste en main, il convient d'appeler chacune des entreprises et de leur demander de vous "couvrir". Le mot couvrir signifie ici que le montant de l'offre qui sera remis, appelée "couverture", sera d'un montant supérieur à celui auquel l'entreprise organisant l'entente répondra. Après avoir obtenu l'accord de toutes les entreprises souhaitant remettre une offre, et avoir soi-même arrêté le prix auquel on répondra, on communique aux différentes entreprises le montant de l'offre de couverture qu'ils doivent faire. Vu du côté du maître d'ouvrage, rien n'apparaît, et la procédure d'appel d'offres suit son cours normalement et débouche sur l'attribution du marché à l'entreprise ayant monté l’entente. Logiquement l'entreprise ayant monté l'entente devrait pouvoir répondre à un prix très élevé. Dans la pratique cette entreprise est tenue par l'estimation de l'administration. En effet si elle dépasse de manière exagérée l'estimation de l'administration, celle-ci peut se rebiffer et annuler la consultation ou la relancer. onc, lorsqu'on veut monter une entente sur un projet bien défini, il convient aussi d'avoir ses entrées auprès de la personne qui va arrêter le montant de l'estimation de la maîtrise d'ouvrage. Il s'agit en général du maître d’oeuvre. Et il convient d'obtenir de lui qu'il fasse une estimation généreuse, qui permette donc d'éviter l'obstacle du dépassement de l'estimation tout en ayant des prix comportant une marge confortable. Comme précédemment ces petits services s'obtiennent en échange d'autres services, ou moyennant finances.

 

4 février 2010

partie 3

Retour en France-1975

 

_Une entreprise de construction de routes

_ 1975-1976

De retour en France, j'ai trouvé, après quelques semaines de recherche, un poste dans une des plus grosses entreprises routières de France. Son président, qui m'avait reçu, m'avait clairement fait comprendre que pour lui j'étais un débutant et que mes cinq années d'exercice professionnel en Afrique ne comptaient pas. J'étais très vexé.

Afin de me former à l'activité professionnelle en France, j'avais été placé auprès d'un directeur régional de l'entreprise dans l'Ouest de la France. Cet homme était un très bon patron, pugnace, dynamique, et réussissant très bien. Il a d'ailleurs fini sa carrière très haut placé dans la hiérarchie de cette société. Je suis resté à côté de lui pendant six mois dans ses bureaux. Je dois lui rendre hommage, car il s'est très bien occupé de moi m'expliquant beaucoup de choses de cette profession d'entrepreneurs très différente de ce que j'avais pu connaître en tant que maître d'ouvrage en Afrique. Cette formation a porté sur toutes les facettes du métier d'entrepreneur routier ; mais celles dont je parlerai ici sont bien sûr uniquement celles qui concernent cet exercice. Les ententes entre entreprises de TP étaient monnaies courantes. Mon patron y avait un rôle très important, fédérant les entreprises, aidant à la répartition des marchés, réglant ou atténuant les litiges car il ne manquait pas de s'en produire entre les différents chefs d'entreprise de la région.

 

_ Qu’est ce qu’une entente ?

Les premières choses que j'ai apprises étaient d'une part ce qu'était une entente entre entreprises lors d'un appel d'offres et d'autre part tout ce qu'il fallait faire pour y arriver. Les clients des entreprises routières peuvent être caractérisés par leur origine soit de nature privée soit de nature publique. Les clients privés ont des modalités de consultation de leurs fournisseurs et donc des entreprises routières qui leur sont propres et qui ne sont absolument pas codifiées au niveau national. Nous ne nous en occuperons pas dans ce qui suit. Les clients publics sont principalement en ce qui nous concerne l'État, représenté par leurs directions départementales de l'équipement, et les collectivités locales: soit des communes, des communautés de communes, un département ou une région. Tous ces organismes sont assujettis au code des marchés publics pour pouvoir choisir leurs fournisseurs. La procédure la plus fréquemment utilisée de ce code est la procédure d'appel d'offres. L'appel d'offres se subdivise en deux sous-procédures : celle de l'appel d'offres restreint et celle de l'appel d'offres ouvert. La procédure d'appel d'offres consiste à publier dans des journaux officiels la nature des projets soumis à consultation qui vont déboucher sur un marché afin que les entrepreneurs intéressés se manifestent. Dans la procédure restreinte le client ou maître d'ouvrage choisi parmi tous les candidats qui se sont manifestés entre cinq et quinze entreprises ; ensuite il envoie aux entreprises le dossier de consultation en demandant que les offres soient remises avant une date et une heure bien définie. Dans la procédure ouverte le client envoie le dossier de consultation à toutes les entreprises qui en font la demande. De la même manière les offres doivent être remises avant une date et une heure bien définie. Quelques jours après la remise des offres une commission, dénommée commission d'appel d'offres (CAO), se réunit. Celle-ci est composée d'un certain nombre d'élus de l'autorité qui assure la maîtrise d'ouvrage, assistés par quelques techniciens. Jusqu'à très récemment le maître d'ouvrage avait obligation d'inviter un représentant de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes(DGCCRF), ainsi qu'un représentant du trésor public. Sur présentation d'un rapport des techniciens de la maîtrise d'ouvrage cette commission arrête la liste des candidats qui seront retenus dans le cadre d'un appel d'offres restreint. Par la suite après que les offres aient été remises par les entreprises, que la procédure soit ouverte ou restreinte, les offres sont ouvertes officiellement en séance de la commission. Cette commission note principalement le montant de chacune des offres, puis très généralement, demande aux techniciens de la maîtrise d'ouvrage d'examiner en détail le contenu des offres et de faire un rapport sur ces offres avec des propositions de choix à une prochaine séance. Lors de cette dernière séance les techniciens présentent un rapport technique sur les différentes offres examinées et font des propositions à la commission pour retenir l'une de ces offres. De manière générale et depuis très longtemps s'est appliquée la notion de l'offre la mieux-disante, par opposition à celle de moins-disante; toute la problématique consistant à définir les critères du "mieux". Devant la difficulté de définir ce qui est "mieux", et au vu des suspicions que cela soulève, il est traditionnel que mieux -disant et moins disant se confondent la plupart du temps. Il y a donc énormément de chance pour que l'entreprise qui a remis l'offre la plus basse soit celle retenue. On appelle « entente » des entreprises une démarche effectuée par l'ensemble de ces entreprises qui consiste à désigner entre elles, celle qui sera la moins chère ; à s'organiser pour que les autres entreprises répondent plus chère que celle désignée et à envoyer toutes ces offres au maître d'ouvrage.

Cette démarche est fondamentalement illégale. Je l'ai vu pratiquée sur l'ensemble de ma carrière d'entrepreneurs à peu près une fois sur deux pour les appels d'offres sous maîtrise d'ouvrage publique.

Pourquoi donc les entreprises y ont-elles recours ?

Deux raisons principales semblent justifier cette démarche :

-- la première est qu’un responsable d'entreprise, dont la responsabilité essentielle est d'alimenter son carnet de commandes pour que son personnel et son matériel aient du travail, n'aime pas se confier à une règle qu'il estime être celle du hasard. 

--la deuxième est que ce même responsable d'entreprise, dans le cadre d'une entente, peut, dans certaines limites, augmenter sensiblement ses prix, et donc son bénéfice. La première étape à franchir pour monter une entente est de connaître la liste des entreprises qui remettront une offre. Dans le cadre d'une procédure restreinte, une liste exhaustive et limitée de 5 à 15 entreprises est arrêtée en commission d'appel d'offres. Le jeu consiste alors à se procurer cette liste. Ceci est relativement simple. Il suffit de connaître par le biais de l'amie d'un ami ou de toute autre manière une personne de la maîtrise d'ouvrage ayant accès à cette liste. Elles sont nombreuses. Des petits cadeaux peuvent grandement faciliter cette connaissance. On payait dans le début des années 80 jusqu'à 1000 F soit environ 150 € de nos jours une telle liste pour un appel d'offres. Dans l'hypothèse d'un appel d'offres ouvert le jeu est plus subtil. En effet n'importe quelle entreprise peut venir retirer un dossier n'importe quand même la veille de la remise des offres. Il convient donc d'avoir accès à la liste tenue par celui qui remet les dossiers. Lorsque les dossiers sont remis par leur reprographe, cet accès est relativement simple. Le personnel de la société de reprographie n'a en effet aucune motivation pour refuser la communication de cette liste à quelqu'un qui le lui demande gentiment. Lorsque les dossiers sont remis par le service marché de la maîtrise d'ouvrage, celui-ci a généralement des consignes strictes de confidentialité sur cette liste. Mais comme précédemment et souvent moyennant service rendu, ou finance, on arrive très souvent à se procurer cette liste. Une fois qu'on a la liste en main, il convient d'appeler chacune des entreprises et de leur demander de vous "couvrir". Le mot couvrir signifie ici que le montant de l'offre qui sera remis, appelée "couverture", sera d'un montant supérieur à celui auquel l'entreprise organisant l'entente répondra. Après avoir obtenu l'accord de toutes les entreprises souhaitant remettre une offre, et avoir soi-même arrêté le prix auquel on répondra, on communique aux différentes entreprises le montant de l'offre de couverture qu'ils doivent faire. Vu du côté du maître d'ouvrage, rien n'apparaît, et la procédure d'appel d'offres suit son cours normalement et débouche sur l'attribution du marché à l'entreprise ayant monté l’entente. Logiquement l'entreprise ayant monté l'entente devrait pouvoir répondre à un prix très élevé. Dans la pratique cette entreprise est tenue par l'estimation de l'administration. En effet si elle dépasse de manière exagérée l'estimation de l'administration, celle-ci peut se rebiffer et annuler la consultation ou la relancer. onc, lorsqu'on veut monter une entente sur un projet bien défini, il convient aussi d'avoir ses entrées auprès de la personne qui va arrêter le montant de l'estimation de la maîtrise d'ouvrage. Il s'agit en général du maître d’oeuvre. Et il convient d'obtenir de lui qu'il fasse une estimation généreuse, qui permette donc d'éviter l'obstacle du dépassement de l'estimation tout en ayant des prix comportant une marge confortable. Comme précédemment ces petits services s'obtiennent en échange d'autres services, ou moyennant finances.

 

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35 ans de BTP, ententes, corruption et vol qualifié
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